On prend rarement le temps, au Québec, de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps que tous les Français parlent français.
C’est que l’Europe s’est développée au Moyen Âge comme un ensemble de royaumes aux frontières instables, et donc les monarques se mariaient entre eux, évoluant dans un univers culturel et linguistique à part de populations très diversifiées. Et la France ne fait pas exception. L’occitan, le catalan, le breton, le picard, l’alsacien, le basque ne sont que quelques-unes des langues autochtones de la France, parlées comme langues maternelles et souvent comme seules langues de bien des sujets de la France de l’Ancien Régime, dans l’indifférence quasi totale de la monarchie. Ce qui importait au pouvoir politique des rois qui ont administré notamment la Nouvelle-France, c’était surtout que le français soit normé et imposé comme langue de l’État et de l’administration pour supplanter le latin, et donc le pouvoir de l’Église.
C’est principalement avec la Révolution française qu’on s’est mis à s’intéresser à cette diversité linguistique, perçue alors comme un obstacle à la circulation des idées politiques républicaines et laïques. Et après la période de va-et-vient politique qu’a connue la France au XIXe siècle, la Troisième République instaure dans les années 1880 une série de lois sur l’instruction primaire obligatoire — en français — sur l’ensemble du territoire. On veut alors une république, unie et unitaire. Et avec l’industrialisation et la montée du capitalisme, la bourgeoisie dominante a avantage à créer une masse qui suit les mêmes normes, travaille de la même manière, consomme les mêmes produits et les mêmes journaux.
Dans les écoles de France, on déploie un ensemble de châtiments, souvent physiques, pour punir les enfants qui parlent leur langue maternelle. On leur enseigne finalement non seulement le français, mais aussi l’infériorité de leur culture et de leur milieu familial. En occitan, on parle de vergonha pour nommer l’effet des politiques républicaines sur la psyché populaire. La honte. C’est par la honte, et souvent par la violence envers les enfants, que le français est devenu la langue de la République. Le projet linguistique républicain est donc fondamentalement un projet disciplinaire. Il faut parler le français, le bon, le patriotique, le beau, l’exact, le supérieur, le vrai, le pur. Une liste de notions qui, faut-il le spécifier, n’ont d’assises dans aucune science du langage. Les dogmatiques les plus orthodoxes de la langue française n’ont souvent (nécessairement) aucune notion de sociolinguistique.
L’unitarisme républicain a bien sûr été amené dans les colonies françaises au même moment qu’il a été imposé en France même. On a aussi tenté, tant bien que mal, d’enseigner aux fils des potentats « indigènes » non seulement le français, mais aussi la fierté et le sentiment de supériorité qui viennent avec le rapprochement avec la norme, ainsi que la honte et le mépris de sa langue maternelle ou des variants locaux du français. Cette honte, elle laisse des traces, d’une génération à l’autre, tant en France que dans son (ex) empire.
Après des décennies de lavage de cerveau, une France transformée par cet idéal politique « redécouvre » le Québec, et sa langue qui a échappé à cette entreprise de réingénierie sociale républicaine. Et une partie des élites québécoises, à son contact, internalisent aussi cette honte et la transmettent à leur tour aux gens d’ici, au nom, paradoxalement, de la fierté nationale. Frustrés d’être l’objet des moqueries des Hexagonaux, on se moque à son tour des Saguenéens ou des gens d’Hochelaga. Des Parisiens disent aux élites montréalaises qu’elles sonnent comme le Moyen Âge, et elles, à leur tour, traitent les Acadiens, les Cajuns et les Franco-Manitobains comme des vestiges du passé.
Si l’on prend rarement le temps d’expliquer cette histoire de la langue française au Québec, c’est notamment que l’on se préoccupe, avec raison, de la place prépondérante de l’anglais en Amérique du Nord, et surtout de cet autre projet impérialiste qu’est le Régime britannique à l’origine du Canada moderne. On croit que nos insécurités linguistiques nous viennent de cette situation de minoritaires sur le continent. C’est vrai, en bonne partie. Mais il ne faut pas non plus oublier d’examiner cette francophonie, le projet politique qu’elle porte, ses effets insécurisants et sa logique disciplinaire génératrice de honte et de hiérarchie qui pèsent sur les francophones « hors norme » de tous les continents, Européens y compris.
Il faut réfléchir à la langue française en Amérique non seulement face à l’anglais, mais aussi face à elle-même, dans toute sa complexité. Qu’est-ce que cela veut dire de dénoncer les tentatives d’assimilation et de stigmatisation vécues par les enfants francophones des Amériques aux mains des Britanniques et des Américains, tout en ayant participé à des projets missionnaires visant à assimiler les enfants haïtiens, sénégalais ou innus et à stigmatiser leur langue maternelle ? Qu’est-ce que ça signifie de dénoncer le règlement 17 qui a longtemps compliqué l’enseignement du français en Ontario pendant que l’État québécois s’acharne à franciser les jeunes du Nunavik ? Qu’est-ce qui se produit quand des militants de gauche, qui militent pour l’équité et l’inclusion, s’en prennent à l’orthographe des internautes moins scolarisés qu’eux plutôt qu’à leurs idées ? Ou lorsqu’on « se donne un accent » pour faire sérieux à la télévision d’État ou à l’université ?
Dénonce-t-on les effets néfastes de l’impérialisme britannique parce qu’on est anti-impérialiste ou parce qu’on lui aurait préféré un impérialisme différent, où l’on aurait été plus dominant ? Est-on contre le mépris des Franco-Québécois ou contre le mépris tout court ? Se pencher sur ces questions, c’est s’interroger sur ce que l’on veut que notre francophonie signifie à la face du monde, et aussi sur la manière dont les francophones se traitent entre eux, et sur le rapport traversé de contradictions, d’émotions et souvent d’insécurité de chacun envers sa langue et son identité. À nous de voir, avec les francophones de partout dans le monde, ce que signifie parler français, de mettre en question ses normes et de s’approprier (enfin) sa langue.
Dans le cadre de notre dossier sur la mémoire, l'historien Gilles Havard retrace dans un entretien au HuffPost l'histoire méconnue de la Nouvelle-France, qui fut en réalité une "Amérique franco-indienne".
Par Pierre Tremblay
Signature du Traité de Grande Paix à Montréal en 1701
DOSSIER MÉMOIRE - Il suffit d’entrer dans une librairie française pour cerner l’angle mort. Dirigez-vous vers le rayon “histoire”, puis auscultez la section “Amériques”, si elle existe. À coup sûr, vous découvrirez maints ouvrages sur l’histoire contemporaine des États-Unis. La vie de Barack Obama, la crise des missiles de Cuba ou le 11 septembre 2001, jusque dans leurs moindres détails.
Mais difficile d’élargir ce spectre états-unien. Le Canada, le Québec? La section “guides de voyages” risque d’être plus fournie. Et la Nouvelle-France? Presque un trou noir. Dans l’Hexagone, l’histoire française de l’Amérique du Nord, qui s’est pourtant écrite sur un territoire colossal s’étendant de la Louisiane au Labrador, aux 17e et 18e siècles, est aujourd’hui presque oubliée.
Cet article fait partie de notre dossier “La mémoire en mouvement”. Alors qu’Emmanuel Macron appelle à la création d’une liste de personnalités pour mieux représenter “la diversité de notre identité nationale”, Le HuffPost se plonge dans l’histoire de France et dans l’actualité pour interroger notre mémoire collective.
La “Nouvelle-Orléans” et son “frenchquarter”, l’accent des “cousins québécois”... “Notre mémoire collective semble se résigner à n’entrevoir l’histoire des colonies françaises d’Amérique du Nord qu’à travers ces images fugaces et évanescentes”, explique l’historien Gilles Havard, en introduction de son “Histoire de l’Amérique française” (Flammarion) co-écrite avec Cécile Vidal, directrice d’études à l’EHESS.
“Par comparaison avec celle des îles à sucre, cette histoire occupe une faible place dans les programmes scolaires et elle reste peu enseignée à l’université”, rappelle-t-il.
Dans un long entretien au HuffPost, ce spécialiste de la Nouvelle-France et directeur de recherche au CNRS retrace ce pan méconnu de l’histoire française, en accordant une attention particulière aux relations franco-amérindiennes, fil rouge de ses recherches depuis une vingtaine d’années. Plongée dans une histoire complexe faite d’alliances, de guerres, de commerce et de métissages.
Ces derniers mois, les Français ont abondamment discuté de leur mémoire collective, mais l’histoire et les figures de l’Amérique du Nord française sont absentes de ces débats. Pourquoi ?
Le principal facteur, c’est que cette portion de l’empire français a disparu lors de la Guerre de Sept ans, en 1763, et donc avant la Révolution française, événement fondateur de notre histoire et identité nationale. Tout cela apparaît donc très lointain. C’est aussi l’histoire d’un échec. Les Français ont été battus par les Britanniques et on pourrait dire, même si c’est un peu simpliste, que l’amour propre national a pu freiner l’intérêt pour cette période.
Et puis c’est une histoire éclipsée par celle des États-Unis, première puissance mondiale. Côté américain, l’idéologie de la “Destinée manifeste” postule que l’histoire du continent commence avec l’arrivée des anglo-américains. Ce qui a précédé est considéré comme inférieur d’un point de vue civilisationnel. Le passé français et celui des autochtones sont donc perçus comme un prologue anecdotique.
Carte de la Nouvelle-France (en bleu) vers 1755
Vous écrivez que l’étude de l’Amérique française nécessite d’abord de “redéfinir les concepts souvent galvaudés de colonisation et d’impérialisme”. C’est-à-dire ?
Cette histoire nous amène à mieux réfléchir au phénomène colonial dans sa diversité et sa complexité. Par exemple, la colonisation de la Nouvelle-France, ça ne signifie pas immédiatement la soumission des Autochtones, ni nécessairement la confrontation.
La Nouvelle-France était peu peuplée (3000 colons en 1663, autour de 80.000 en 1760). Elle a donc existé grâce aux liens noués avec les Amérindiens. Ces derniers trouvaient aussi un intérêt dans ces alliances, pour mieux faire la guerre aux autres peuples autochtones ou résister à l’expansion des Britanniques, plus avides de leurs terres.
C’est pour cela que vous dites que l’Amérique française fut en fait une “Amérique franco-indienne” ?
Oui. Il y a bien un empire qui se construit, mais il repose sur des formes d’adaptation aux Autochtones, plus que d’imposition des normes coloniales. Le projet consiste à franciser et évangéliser les Amérindiens, mais c’est parfois le contraire qui se produit.
Il faut donc éviter l’histoire téléologique et anachronique en considérant que les autochtones sont immédiatement des victimes de l’histoire coloniale. Ce serait leur enlever leur marge de manœuvre, leur capacité à être des acteurs historiques. En revanche, à la longue, surtout au 19e siècle (époque britannique puis canadienne ou américaine), les Autochtones ont bien été soumis et refoulés dans des territoires exigus, devenant en quelque sorte des étrangers sur leurs terres.
L’arrivée des Français, et plus largement des Européens, va même provoquer une “tempête démographique” chez les Amérindiens...
En effet. C’est la plus grande tragédie de l’histoire des Amériques. Les Autochtones ont subi de plein fouet le choc microbien : ils n’étaient pas immunisés contre la grippe ou la variole. C’est, de loin, la principale cause de mortalité liée à la colonisation. Des groupes pouvaient perdre jusqu’à 90 % de leur population.
Si Jacques Cartier est passé avant lui, c’est Samuel de Champlain qui démarre l’entreprise coloniale en 1603. Quel est le projet au départ ?
Au 16e siècle, les pêcheurs normands, bretons et basques viennent pêcher la morue dans le golfe du Saint-Laurent. Mais bientôt, c’est un autre produit qui intéresse les Français : la peau de castor, qui sert à fabriquer des chapeaux en Europe. La monarchie va alors accorder des monopoles de traite à des entrepreneurs en échange de l’obligation de s’établir sur place et d’installer des colons.
Lors de ce voyage, une première alliance naît d’une rencontre fortuite avec des Amérindiens à Tadoussac (Québec), alors que des guerriers algonquins, montagnais et malécites célèbrent une victoire contre leurs ennemis, les Iroquois. Comment en arrive-t-on à ce rapprochement?
Les Français connaissaient déjà ces Autochtones. Mais cette rencontre est l’occasion de fonder une alliance durable. L’amitié des Autochtones est indispensable aux Français s’ils veulent circuler et s’implanter en Amérique du Nord. Leur alliance avec ces peuples est fondée sur le commerce et la guerre contre un ennemi commun. En s’alliant avec les Montagnais, les Hurons-Wendat et les Algonquins, les Français sont ainsi conduits à combattre les Iroquois.
Les Amérindiens trouvent aussi leur intérêt dans la traite des fourrures, car ils reçoivent en échange, par exemple, des textiles et des objets en fer (haches, marmites).
En 1701, cette politique d’alliance atteint son paroxysme avec la Grande Paix de Montréal, un traité hors normes entre les Français et une quarantaine de nations amérindiennes, dont les Iroquois. Peut-on parler alors d’un rapport de nation à nation?
Oui, ce sont des rapports diplomatiques tels qu’ils peuvent exister au même moment entre États européens. Mais les Français s’adaptent aux Autochtones : les discours de leurs chefs sont traduits par des interprètes français, on brandit des colliers de wampum – faits de perles de coquillages – pour appuyer sa parole, on fume le calumet… Les ambassadeurs autochtones s’adaptent eux aussi aux Français, qui leur demandent d’inscrire leur marque sur le traité de paix. Ils y dessinent alors des animaux totémiques.
Extrait du traité de 1701 avec les pictogrammes des nations
Dans “L’Amérique fantôme” (Flammarion) et “Empire et métissages” (Septentrion), vous sortez de l’ombre les “coureurs de bois”, peut-être les acteurs les plus aboutis de cette Amérique franco-indienne. Qui étaient-ils?
Ce sont des colons français, tous des hommes, qui circulaient dans l’intérieur du continent nord-américain pour collecter des fourrures auprès des Amérindiens. Sur place, certains épousent des Amérindiennes à la mode autochtone. Les enfants qui naissent de ces unions deviennent, pour la plupart, de petits Autochtones, élevés par leur mère. Les patronymes français que l’on trouve aujourd’hui dans les réserves indiennes du Dakota ou du Montana témoignent de ces interactions.
C’est ainsi que le “rêve de Champlain”, pour reprendre les mots de l’historien David Hackett Fischer, prend forme? Lui qui disait aux Hurons en 1633 : “Nos jeunes hommes marieront vos filles, et nous ne formerons plus qu’un peuple”?
Le “rêve” de Champlain n’est pas un rêve de métissage, mais plutôt de francisation des Autochtones. Si des femmes amérindiennes se marient à des colons, leurs enfants, espère Champlain, deviendront de petits Français. Mais ce projet, relancé à l’époque de Colbert, va échouer. Au 18e siècle, cette politique officielle d’intermariage est abandonnée. Un discours mixophobe se développe alors.
Cela ne veut pas dire non plus que les tensions et les conflits étaient inexistants en Nouvelle-France...
Non, en plus des guerres contre les Iroquois, les Français, toujours avec des alliés autochtones, sont engagés autour de 1730 dans une politique de destruction des Renards (peuple des Grands Lacs) et des Natchez (en Basse-Louisiane), parce que ces groupes se montrent belliqueux. Des Natchez sont d’ailleurs déportés comme esclaves à Saint-Domingue, et leur société est en bonne partie détruite.
Même si c’était dans une moindre mesure que les Antilles, la Nouvelle-France a aussi connu l’esclavage. À ce sujet, vous faites la distinction entre la Basse-Louisiane et le reste de la colonie...
Oui, la Louisiane, comme Saint-Domingue (Haïti), constituait à partir des années 1720 une “société esclavagiste”, c’est-à-dire que son économie reposait sur le travail des esclaves africains, exploités dans des plantations de tabac ou d’indigo. En revanche, dans la vallée du Saint-Laurent (Canada), les esclaves représentaient environ 5 % de la population. Ils étaient pour la plupart des domestiques, en ville. Il s’agissait en grande majorité d’Autochtones, et
secondairement d’Africains.
La Nouvelle-France fut l’un des “laboratoires” où se sont développées la culture et l’identité françaises.Gilles Havard, historien
L’histoire de l’Amérique française semble s’écrire beaucoup à partir des archives coloniales et plus difficilement à partir de sources autochtones, qui ne maîtrisaient pas l’écriture. Comment, en tant qu’historien des relations franco-amérindiennes, se prémunir de ce biais?
C’est la grande difficulté : faire ressortir le point de vue et les logiques des Amérindiens, avec des sources qui, pour la plupart, sont coloniales. Il faut donc les croiser avec des ethnographies produites plus tardivement par des anthropologues, qui ont enquêté auprès d’Autochtones ayant connu les modes de vie traditionnels, ainsi qu’avec les traditions orales autochtones.
Trouvez-vous dommage l’absence de toute cette histoire dans les débats sur la mémoire ?
Oui, car la Nouvelle-France fut l’un des “laboratoires” où se sont développées la culture et l’identité françaises. Dans les écrits de missionnaires ou d’autres colons tel le baron de Lahontan, on trouve, à travers le portrait (en partie fantasmé) du “Bon Sauvage”, une critique de l’absolutisme, du dogmatisme religieux et de la propriété, et la valorisation des valeurs d’égalité, de liberté et de félicité. Tout cela a nourri la philosophie des Lumières.
A contrario, à travers d’autres descriptions moins favorables dudit “Sauvage” (il serait “débauché”, “oisif”, “païen”, “insubordonné”, “polygame”), on essentialise l’identité française en traçant un portrait normatif et prescriptif du Français idéal. Il doit être chrétien, obéissant, laborieux, vivre au sein d’une famille restreinte, être alphabétisé, etc. On prépare ainsi un modèle d’unification culturelle qui verra finalement le jour sous la Révolution française.
Dans cette histoire, auriez-vous des exemples de personnages historiques pour mieux représenter “la diversité” dans notre espace public, comme le veut Emmanuel Macron ?
Il faudrait, je crois, se tourner du côté des Amérindiens. Le chef Huron-Wendat Kondiaronk, par exemple, fut le grand artisan de la Grande paix de Montréal de 1701. Chicagou, un chef Illinois, est venu faire valoir les revendications des siens jusqu’à la Cour de France, en 1725. Les femmes, individuellement, sont moins présentes dans les sources, sauf s’il s’agit d’Amérindiennes converties au catholicisme, la plus connue étant l’Iroquoise Kateri Tekakwitha, canonisée en 2012. Côté africain, je pense à Samba, un esclave bambara qui se révolte à La Nouvelle-Orléans en 1731.
Mais je ne crois pas qu’on retiendra ces individus pour nommer des rues ou pour des statues. L’enjeu politique en France semble faible. Les Autochtones et les descendants d’esclaves noirs en Louisiane sont devenus des citoyens américains ou canadiens. L’histoire de l’Amérique française semble trop déconnectée de la France contemporaine pour que cela intéresse vraiment le gouvernement. Mais j’espère me tromper.
En octobre, plus de deux ans après la disparition du dernier caribou de la vallée de la Maligne dans le parc national de Jasper, Parcs Canada a annoncé un plan provisoire de reproduction en captivité des caribous. Les femelles d’autres troupeaux seront rassemblées et enfermées dans une installation près de la ville de Jasper.
Le plan doit d’abord être évalué par des experts, ce qui aura probablement lieu en janvier. Mais Stan Boutin, biologiste à l’Université d’Alberta, voit ces solutions de dernier recours comme étant nécessaires pour sauver les troupeaux de caribous.
Il ne reste plus que trois troupeaux dans le parc national de Jasper. Aucun d’entre eux ne se porte bien. Le troupeau de Tonquin, qui compte 45 têtes, a diminué du tiers depuis 2010. Celui de Brazeau ne compte plus que 15 caribous et aucun ne compte assez de femelles pour faire croître la population. Le dernier bastion est le troupeau À la Pêche, avec 150 caribous migrateurs à l’extrémité nord du parc.
Parcs Canada cherche des moyens de sauver les caribous depuis des décennies. En 2002, la société d’État a proposé un plan de fermeture de la route Maligne, qui mène à la base de l’aire d’hivernage alpine du caribou, afin de rendre cette zone plus difficile d’accès pour les loups prédateurs.
Mais les fonctionnaires ont abandonné l’idée quatre jours après que le plan ait été rendu public et que le monde des affaires s'en soit plaint. Le plan de rétablissement du caribou n’a jamais atteint la phase de consultation publique. Le monde des affaires s’en est félicité tandis que les biologistes du parc en ont été fort attristés.
Les scientifiques s’inquiétaient qu’un animal noble comme le caribou puisse disparaître d’un parc national au Canada, comme ce fut le cas pour le troupeau de Banff en 2009. Dans le magazine Conservation Biology, plusieurs ont fait remarquer que le dernier caribou forestier du sud du parc national de Banff est mort le jour où la physe des fontaines de Banff, un petit escargot, devenait la seule espèce, sur les 449 inscrites, à bénéficier du processus de conservation complet prévu dans les lois canadiennes sur les espèces en péril.
La législation fédérale oblige le gouvernement à protéger les espèces en péril, et en 2011, il a lancé un programme de reproduction en captivité du caribou des montagnes du sud avec Parcs Canada, le gouvernement de la Colombie-Britannique et le zoo de Calgary. Ce programme devait être un nouveau départ et la pierre angulaire de la stratégie de conservation du caribou, mais l’accord a pris fin en 2015.
Les programmes de conservation fondés sur la science dans les parcs en montagne se sont longtemps opposés au tourisme. Le responsable de la conservation des ressources de Jasper a été licencié en 2015 et plusieurs soupçonnent que c’était parce qu’il avait fait pression pour publier un rapport sur la façon dont l’expansion des pistes de ski de Jasper affecterait le troupeau de caribous menacé du Tonquin.
Son départ a coïncidé avec un projet d’hébergement touristique dans la vallée de Maligne.
Il n’y a pas que les caribous de Jasper, Banff et d’autres parcs nationaux qui ont souffert. Dans les années 1970, Parcs Canada a hésité à mettre un terme au grave déclin du caribou forestier dans le parc national Pukaskwa, sur les rives du lac Supérieur.
Il n’y avait alors qu’environ 24 caribous, et la population est passée à seulement cinq individus en 2009, avant de disparaître complètement. Les caribous n’étaient pas si présents à Pukaskwa, mais ne rien faire en observant leur disparition ne devrait pas non plus être une option.
Une personne tenant une antenne en l’air près d’un lac avec en toile de fond des montagnes enneigées
Parcs Canada a fait son effort pour les espèces menacées et la reconstitution de la faune. Les bisons, parexemple, ont été réintroduits avec succès à Banff récemment,mais cette espèce peut s’adapter à presque tous les écosystèmes. Parcs Canada a également réussi l'opération délicate d’éliminer l’omble de fontaine, une espèce de truites invasive en introduisant un pesticide dans certains lacs, ce qui aurait pu être un cauchemar en matière de relations publiques.
Les caribous sont différents. Tout comme les ours polaires, ce sont des animaux qui subissent les effets du climat. Ils ont besoin de zones montagnardes, de tourbières et de marais boisés pour échapper aux prédateurs, fuir les feux de forêt et trouver de la nourriture.
Ils ont du mal à le faire en dehors des parcs nationaux, où les tourbières situées sur des sites d’exploitation pétrolière et gazière, d’exploitation forestière et d’extraction du charbon sont scindées et grugées par les routes, les lignes sismiques et les opérations d’exploitation des sables bitumineux.
En 1992, le naturaliste Ben Gadd a prédit que les caribous disparaîtraient de Jaspersi Parcs Canada ne mettait pas en place deux grandes zones d’exclusion pour les protéger. Lui et d’autres membres de la Jasper Environmental Association avaient l’oreille des biologistes du parc à l’époque, mais pas le soutien d’Ottawa.
Les hauts fonctionnaires se sont toujours pliés à la volonté des milieux d’affaires d’agrandir les pistes de ski et de construire des routes et des monuments, dont le monstrueux monument Mère Canada dans le parc national du Cap-Breton, même si cela violait l’esprit de la Loi sur les parcs nationaux.
Les ministres viennent rarement à la rescousse, car peu d’entre eux restent longtemps en poste. Depuis 1971,30 ministres ont été responsables de Parcs Canada. Deux seulement ont duré plus de trois ans,et16 ont occupé le poste pendant moins d’un an ou un peu plus.
En 2018, réalisant que la société d’État avait perdu son âme, Catherine McKenna, ex-ministre de l’Environnement, avait déclaré qu’il était temps de remettre Parcs Canada sur la voie de la conservation. Alors que McKenna est maintenant ministre de l’Infrastructure, les juges et les groupes environnementaux tentent de tenir Parcs Canada et le gouvernement fédéral imputables.
Le programme de rétablissement des caribous à Jasper est grandement nécessaire, mais il fait probablement trop peu, trop tard. Il n’y a tout simplement plus assez de caribous pour faire grossir les troupeaux.
Cela suggère également qu’il est plus facile pour le gouvernement canadien d’élever des caribous en captivité que de s’occuper de ce qui les menace dans la nature. Et c’est un triste constat sur une société d’État dont la « priorité » est de protéger « les patrimoines naturel et culturel de nos zones sensibles et de s’assurer de leur intégrité »
Le Premier ministre Justin Trudeau n’a rien déclaré sur l’intégrité écologique des parcs nationaux lorsqu’il a confié à Jonathan Wilkinson le mandat de supervision d’Environnement Canada et de Parcs Canada. Il faut maintenant un conseil consultatif national doté de pouvoirs légaux et contraignants, qui puisse assurer l’indépendance de Parcs Canada et le protéger de l’ingérence politique. En cette ère de changements climatiques, le maintien du statu quo n’est pas un gage de succès.
Après avoir délaissé Port-Royal, à la suite du ralentissement de la traite, le vice-amiral de l’Acadie Charles de Biencourt de Saint-Just s’installe à la Baie Courante et au Cap Nègre dès l’hiver 1617-1618.
La Baie Courante (ou Anse Courante) est parsemée d’îles dangereuses à cause des rochers à fleur d’eau et des courants de marées très violents[1].
Extrait. Description des côtes, points, ports et îles de la Nouvelle-France, par Samuel de Champlain. 1607.
Cap Fourchu (A), Anse Courante (B), Cap de Sable (C) et Cap Nègre (D).
(Source : Bibliothèque numérique Mondiale. Library of Congress. G3321.P5 1607. C4)
C’est le silence à Port-Royal
Avec les vingt-cinq hommes de sa troupe, écrit Adrien Huguet, Charles de Biencourt en arrive à mener une existence errante et lamentable dans la société des Souriquois dont il partage les occupations périlleuses, les fatigues et les privations.
Sa colonie décimée ne reçoit plus d’autres recrues que des matelots évadés des cales des terre-neuviers, des volontaires en rupture de bord, débarqués aux ports Canseau et de La Hève. Ces hommes introduisent à Port-Royal des habitudes nouvelles, plus indépendantes, plus vagabondes, moins laborieuses, moins tempérantes, moins réservées dans les rapports avec les filles sauvages, poursuit Huguet.
Miné par la misère et l’épuisement, Biencourt meurt en 1623 à l’âge de 31 ans.
(Source : Adrien Huguet, « Jean de Poutrincourt 1557-1615. Campagnes, voyages et aventure d’un colonisateur sous Henri IV » dans Mémoires, Société des Antiquaires de Picardie, Amiens, tome XLIV, 1932, p. 479)
Entre 1613 et 1621, de multiples opérations commerciales sont effectuées entre Samuel Georges et Jean Macain, marchands rochelais, et Charles de Biencourt.
Pour cette période, deux engagés sont recrutés par David Lomeron, marchand, secrétaire de Charles de Biencourt, écuyer, sieur de Poutrincourt, baron de Saint-Just, « grand Sagamos des Souriquois et Étchemins et pays adjacents », vice-amiral et lieutenant général en toute la Nouvelle-France, demeurant à la Baie Courante.
Le 11 janvier 1620[2], le chaudronnier rochelais Daniel Maridain se présente dans l’étude du notaire protestant Paul Chesneau, de La Rochelle, pour convenir de ses conditions d’engagement. Il promet de s’embarquer, dans six semaines, avec Lomeron dans le navire qu’il équipera pour aller retrouver le sieur de Biencourt à la Baie Courante.
Fait étonnant, il est engagé, non pas à titre de chaudronnier, mais plutôt pour faire la traite de pelleteries avec les Sauvages et l’entretien de toutes les armes qui seront dans le navire; de plus, il obéira à ce qui lui sera commandé par le sieur de Biencourt. Pour ce faire, Maridain apportera avec lui tous les outils et instruments nécessaires. Il sera nourri et logé de son départ jusqu’à son retour en France pour un salaire de 120lt. Même salaire, si de Biencourt requiert les services de Maridain pour l’hivernement de 1620-1621.
Le 16 janvier suivant[3], c’est au tour du chirurgien et pharmacien rochelais Pierre Debrie d’imiter Daniel Maridain. Cette fois, le nom du navire est mentionné. Ainsi, Debrie promet de s’embarquer « du premier beau temps que Dieu donnera » dans le navire Le Plaisir, de La Rochelle, pour aller avec Lomeron et l’équipage au voyage de la Nouvelle-France. Il sera tenu de servir et faire la fonction de pharmacien et chirurgien et s’emploiera à tout ce qui lui sera commandé par Lomeron et, en Nouvelle-France, par le sieur de Biencourt qui en aura charge à la Baie Courante. Il sera nourri et logé pendant son séjour au salaire de 135lt incluant son coffre. Il reconnaît avoir déjà reçu la somme de 75lt de Lomeron. Le reste lui sera payé à son retour en France.
Il est accordé que si de Biencourt désire que Debrie hiverne (1620-1621), il lui sera payé pour son « hivernation » et nourriture la somme de 195lt. Par contre, si Debrie retourne à La Rochelle à l’automne, il ne sera pas tenu de laisser ses médicaments au chirurgien sur place.
Voici le contrat d’engagement de Pierre Debrie en 1620.
Pacte Debrie-Lomeron
Personnellement établit David Lomeron, secrétaire de Charles de Biencourt, écuyer, sieur de Poutrincourt, baron de Saint-Just, grand Sagamos des Souriquois et Etchemins et pays adjacents, vice-amiral et lieutenant général de Monseigneur l’amiral en toute la Nouvelle-France, demeurant à la Baie Courante en ladite Nouvelle-France, d’une part. Et Pierre Debrie, chirurgien et pharmacien, demeurant en cette ville, d’autre part. Entre lesquelles parties a volontairement été fait et passé ce qui s’en suit. C’est à savoir que ledit Debrie a promis de s’embarquer du premier beau temps que Dieu donnera dans le navire nomme Le Plaisir, de cette dite ville, pour aller avec ledit Lomeron et l’équipage que ledit Lomeron y mettra audit voyage de la Nouvelle-France et y servir et faire par ledit Debrie la fonction de pharmacien et chirurgien tant allant, séjournant que retournant. Et encore s’employer à tout ce qui lui sera commandé par ledit Lomeron ou qui de lui aura charge. Et étant de par de-là aussi à tout ce qui lui sera commandé par ledit sieur de Poutrincourt, ou qui de lui aura charge. Ce fait, s’en retourner de par de-là dans ledit navire et ce, tant pour et moyennant la somme de cent trente-et-cinq livres tournois pour son coffre, salaire et loyer. Sur quoi, ledit Debrie a confessé avoir eu et reçu aujourd’hui, auparavant ces présentes, dudit Lomeron audit nom la somme de soixante-et-quinze livres de laquelle il se contente et en quitte ledit Lomeron qui a promis et sera tenu de bailler et payer le restant, montant soixante livres, audit Debrie incontinent après que ledit navire sera de retour en cette ville de La Rochelle, à port de Salut et bon sauvement pour tout délai. Que outre moyennant que ledit Lomeron a promis et sera tenu de nourrir et héberger ledit Debrie sans diminution du susdit prix aussi tant allant, séjournant que retournant. Et est accordé entre les parties que si ledit sieur de Poutrincourt désire que ledit Debrie hiverne de par de-là avec lui, icelui Debrie sera tenu comme il a promis d’y demeurer jusqu’à l’année prochaine moyennant qu’aussi outre sa dite nourriture, il lui sera payé pour sa dite hivernation, par ledit] sieur de Poutrincourt, la somme de cent quatre-vingt-quinze livres lorsqu’il s’en voudra retourner de par deçà où il sera conduit aussi aux dépens dudit sieur de Poutrincourt et dans le vaisseau qu’il enverra l’année prochaine de par deçà. Et où ledit Debrie s’en retournerait sans hiverner, il ne sera tenu de laisser aucun de ses médicaments ou ferrements au chirurgien qui est de par de-là, sinon en le payant de la juste valeur desdits médicaments ou ferrements. Et pour l’effet et exécution des présentes, lesdites parties ont élu leur domicile en cette ville; savoir ledit Lomeron, audit nom, au logis de la Fontaine, rue du Minage, et ledit Debrie en la maison de Balthazar Debrie, maître apothicaire, demeurant en cette ville, son frère, pour y recevoir de part et d’autre tous commandements, actes et exploits de justice nécessaire qu’il promet avoir pour agréable et tant être de même effet, force et vertu que si fait étaient à sa personne ou domicile ordinaire irrévocablement. Ce stipulant les parties et pour ce faire icelles défense en leur endroit sans venir au contraire à peine de tous dépens, dommages et intérêts. Elles ont obligé l’une à l’autre tous et chacune leurs biens meubles et immeubles présents et à venir quelconques. Et outre ledit Debrie à tenir prison comme pour deniers royaux. Renonçant &. Fait à La Rochelle, en l’étude dudit notaire après-midi, le seizième de janvier mille six cent vingt. Présents Jean Guillemard et Paul Coignard, clerc, demeurant en ladite Rochelle. Signatures.
Extrait. Contrat d’engagement de Pierre Debrie pour la Nouvelle-France. 16 janvier 1620.
(Source : AD17. Notaire Paul Chesneau, 3E249, fol. 11v, 12r)
Qui sont ces engagés de 1620 ?
Pierre Debrie Daniel Maridain
Les deux engagés sont originaires de La Rochelle (Aunis).
Les engagés protestants rochelais Pierre Debrie et Daniel Maridain quittent La Rochelle, probablement en mars, pour la Baie Courante, en Nouvelle-France (Acadie), à bord du navire Le Plaisir (80 tx).
Le navire Le Plaisir fait voile pour la deuxième fois en Nouvelle-France, à la suite d’un contrat de charte-partie du 28 novembre 1619, souscrit par David Lomeron au nom du sieur de Biencourt. Le contrat est déclaré résolu par un acquit du 29 octobre 1620[4].
Que sont-ils devenus ?
Les deux engagés (100 %) retournent en France dès leur engagement terminé ou peu après : Debrie (1620) et Maridain (1621).
DEBRIE, Pierre
Demeurant à La Rochelle (Aunis), Pierre Debrie s’engage à David Lomeron, le 16 janvier 1620, pour aller travailler en Nouvelle-France, pour quelques mois, à titre de chirurgien et pharmacien, pour un salaire de 135 livres (avance de 75 livres). Il signe. Il est le frère de Balthazar Debrie, maître apothicaire rochelais. Il quitte La Rochelle, probablement en mars 1620, à bord du navire Le Plaisir (80 tx) à destination de la Baie Courante (Nouvelle-France). Semble être reparti en France à l’automne 1620.
Est-ce lui qui épouse Anne Imbert, le 1er février 1603, dans la salle Saint-Yon à La Rochelle ?
Extrait. Engagement de Pierre Debrie. 16 janvier 1620.
(Source : AD17. Notaire Paul Chesneau. 3E249, fol. 11v, 12r)
MARIDAIN, Daniel
Demeurant à La Rochelle (Aunis), le chaudronnier Daniel Maridain s’engage à David Lomeron, le 11 janvier 1620, pour aller travailler en Nouvelle-France, pour quelques mois, pour faire la traite des pelleteries et l’entretien d’armes pour un salaire de 120 livres (aucune avance). Ne signe pas. Il quitte La Rochelle, probablement en mars 1620, à bord du navire Le Plaisir (80 tx) à destination de la Baie Courante (Nouvelle-France). Semble revenir en France qu’à l’automne 1621, car le 25 septembre 1620, David Lomeron remet la somme de 30 livres à Marguerite Hastier, épouse de Maridain, en déduction de son salaire.
Le 29 janvier 1605, Daniel Maridain avait épousé Marguerite Hastier, dans la salle Saint-Yon à La Rochelle.
L’augmentation des seuils d’immigration nuit-elle au français au Canada? L’ancien fonctionnaire fédéral et auteur de «Disparaître?», Jacques Houle, en est convaincu. Selon lui, ce phénomène, conjugué à la pression croissante de l’anglais dans la vie publique, menace la survie du français en Amérique du Nord. Il a partagé son analyse avec Sputnik.
Depuis la création de la fédération canadienne en 1867, deux langues officielles coexistent au Canada: l’anglais et le français. Dans son livre Disparaître? publié aux éditions Liber, Jacques Houle, ancien cadre à Emploi et Immigration Canada, s’inquiète de l’hégémonie de l’anglais, que l’augmentation des seuils d’immigration renforcerait. Sputnik s’est entretenu avec cet auteur, dont le livre connaît actuellement un succès de librairie au Québec.
Sputnik France: Selon vous, dès la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1759, l’immigration a été utilisée pour réduire la proportion de francophones au Canada. Croyez-vous qu’il s’agisse encore d’une stratégie délibérée du gouvernement fédéral? Cet objectif n’a pourtant jamais été explicité par le gouvernement.
Jacques Houle: «Ce n’est pas exactement un objectif, mais une tendance, une conséquence. Le fait demeure: avant la Conquête de 1759, il y avait 100% de francophones. Graduellement, l’immigration –d’abord britannique– est venue réduire progressivement cette majorité de souche de langue maternelle française. Dès 1840, les Canadiens français étaient tombés à moins de 50%. Aujourd’hui, les Canadiens d’ascendance française représentent environ 21% à l’échelle canadienne. Selon les prédictions de Statistique Canada –le bureau officiel de la statistique du gouvernement fédéral– cette proportion est appelée à encore diminuer.
[…] C’est un phénomène historique. Les Britanniques ont plusieurs fois tenté d’imposer artificiellement une majorité anglaise en Amérique du Nord. […] Ce n’est pas un complot, mais une tendance qui sert la majorité de langue anglaise».
Sputnik France: Vous affirmez que les francophones hors du Québec ne seront pas en mesure de préserver leur langue. Dans quelques décennies, le français pourrait avoir disparu dans les provinces où les francophones sont déjà minoritaires. Au contraire, l’immigration ne renforce-t-elle pas la francophonie canadienne, compte tenu du grand nombre d’immigrés africains parlant français?
Jacques Houle: «Selon Statistique Canada, en 2011, la proportion de francophones au Canada, sans le Québec, était de 3,8%. Cette proportion va passer à 2,8% en 2036. C’est-à-dire que politiquement, nous ne faisons plus le poids hors du Québec. La seule exception étant la province du Nouveau-Brunswick –l’ancienne Acadie française– où là, les francophones vont se maintenir autour de 25%. En Amérique, l’avenir du français se joue donc exclusivement au Québec, où existe encore une majorité de langue maternelle française.
[…] Évidemment, les immigrants francophones africains et maghrébins parlent français. Cependant, rapidement, ils choisissent l’acculturation vers l’anglais. […] Rapidement hors du Québec, les gens réalisent que le français est une langue superflue, économiquement et socialement peu prestigieuse. L’immigré qui arrive ici comprend qu’il doit rapidement apprendre l’anglais. L’anglais est de plus en plus la langue que l’on exige pour être embauché».
Sputnik France: Vous proposez d’accueillir davantage de Français au Québec. En janvier dernier, le Premier ministre québécois, François Legault, avait déclenché une controverse en déclarant qu’il voulait privilégier cette immigration. Pourquoi est-ce la meilleure solution?
Jacques Houle: «Nous sommes une population de langue maternelle et de culture françaises. C’est donc normal de choisir et de privilégier des gens de langue française. À peine 40% des immigrants qui arrivent au Québec parlent français. […] Il y a actuellement environ 350.000 allophones au Québec [pour une population de 8,2 millions de personnes, ndlr] qui ne parlent pas français, mais qui, curieusement, parlent anglais…
[…] L’an passé, près de 30.000 jeunes Français ont voulu obtenir un permis de vacances-travail. Il y a un véritable intérêt de la part de jeunes Français de venir s’établir au Québec. Les taux de chômage sont très élevés en France, alors profitons-en. Par ailleurs, nous devons aussi accueillir des populations “francophonisables”, nos frères de langue latine, surtout d’Amérique latine: des latinos, des Catalans, des Espagnols, des Italiens, des Roumains, etc.»
Sputnik France: Si cette proposition vous paraît si naturelle, pourquoi choque-t-elle alors une partie de la classe politique?
Jacques Houle: «Dès que l’on essaie de lever le voile sur l’immigration, ça choque. On le voit partout en Occident, à moins de vouloir en faire l’apologie. Dès que l’on veut aller plus loin que cette fable heureuse sur les bénéfices, on rencontre un vent contraire. On ne veut pas vraiment prendre en compte les travaux intéressants –mais critiques– qui ont été faits sur cette question. […] Nous avons sacralisé l’immigration: on dit qu’elle est nécessairement bonne. Toutefois, cette démonisation du débat sur ce sujet fonctionne de moins en moins.»
Sputnik France: Vous n’êtes pas le seul auteur à évoquer la rupture grandissante entre Montréal et le reste du Québec. En s’anglicisant, la métropole québécoise se rattacherait symboliquement au Canada anglais et laisserait tomber le reste de la province, à grande majorité francophone. Est-il possible de freiner l’essor de l’anglais dans cette ville?
Jacques Houle: «L’immigration n’est pas la seule cause du déclin du français à Montréal. Par exemple, il y a de plus en plus de politiques de bilinguisme officieux. […] Il y a une attraction de plus en plus forte de l’anglais. L’embauche des travailleurs se fait de plus en plus dans cette langue. […] Il faut travailler en amont et en aval. Il faut absolument revenir à ce qui avait été développé par le grand René Lévesque [ancien Premier ministre québécois, ndlr], c’est-à-dire une politique de francisation de l’espace public. On pourrait aussi suggérer à la mairesse de Montréal, Mme Plante, d’arrêter sa manie de s’adresser chaque fois en anglais et en français aux gens. C’est clair qu’il y un relâchement. J’encourage le gouvernement Legault à adopter des mesures beaucoup plus sévères. Il faudrait enfin avoir une politique d’immigration un peu plus raisonnable».